L’extractivisme des minerais dans les zones en conflit 

L’exploitation des ressources minières est souvent liée à des guerres internes, voire internationales. S’il est bien vrai que 40% des conflits armés internes des soixante dernières années peuvent être associés aux ressources naturelles selon des études de l’ONU, il en résulte qu’un État détenteur d’importants gisements a plus de risques d’être le théâtre de conflits qu’un État non pourvu, ce d’autant plus que ces ressources sont de moins en moins disponibles.

Crédit : macrovector.

La ruée vers les ressources naturelles croit de plus en plus au fil des ans, mais elle l’est encore beaucoup plus en ce qui concerne les métaux stratégiques. La volonté des États-Unis de mettre la main sur les terres rares[1] d’Ukraine, ou encore la permanence du conflit en RD Congo qui a, entre autres, des liens très étroits avec les métaux précieux du sous-sol dans l’Est du pays, en sont des illustrations. Les guerres de pillages miniers sont aujourd’hui une immense source d’approvisionnement qui implique des acteur·rices aux niveaux locaux, régionaux et internationaux.  

Ainsi, “l’extractivisme contemporain se caractérise non seulement par sa taille remarquable et sa vitesse, mais aussi par une intensification de la violence et par des « injustices extrêmes en matière d’environnement » à tel point que l’on pourrait parler d’un « Hyper-Extractive Age » ou de l’âge de l’hyper-extractivisme’’, peut-on lire sur le site du Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative[2]. Cette pratique qui consiste à extraire les matières premières des sous-sols pour les exporter vers les centres industriels des pays du Nord, est le moteur de l’exploitation des métaux dans les zones en conflit et le véritable catalyseur des conflits internes. L’extractivisme renvoie donc plus largement à l’appropriation et l’exploitation intensive de la nature à des fins d’exportation et de commercialisation[3]. D’autres parlent même d’extractivisme prédateur[4]. À ce sujet, le journaliste Christophe Boltanski, ayant arpenté l’Est de la RD Congo, faisait déjà remarquer que dans le cadre du vieux conflit opposant les gouvernements congolais aux groupes armés, les victoires pour ces derniers ne se comptaient pas en termes de territoires conquis mais de gisements passés sous leur contrôle et de tonnes de métaux extraits[5]

Les métaux au service de l’économie de guerre

Il existe dans les zones en conflit riches en métaux, une « économie de guerre et de prédation » dans laquelle violence, profit et destruction de l’environnement se trouvent inextricablement liés. De fait, les groupes armés peuvent établir des systèmes de taxes et de captation de rentes sur les exploitations des métaux, qu’elles soient artisanales ou détenues par des grandes entreprises. Ces dernières, dans le contexte des conflits de la Région des Grands Lacs,

Il existe dans les zones en conflit riches en métaux, une « économie de guerre et de prédation » dans laquelle violence, profit et destruction de l’environnement se trouvent inextricablement liés.

rémunèrent également des groupes armés pour assurer la protection de leurs activités, ce qui contribue à entretenir le conflit. D’ailleurs, précisons que le dernier rapport du Groupe d’expert·es des Nations Unies sur la République démocratique du Congo de décembre 2024, alerte sur le contrôle, la production, le commerce, le transport et l’exportation des minéraux de Rubaya par la coalition AFC-M23[6]. Ces groupes armés prélèvent par exemple 7 dollars par kilogramme de coltan[7], ainsi que d’autres taxes et paiements en nature sur la vente et le transport des minéraux. Selon ce même rapport, l’impôt sur la production et le commerce du coltan à lui seul, à Rubaya, a généré au moins 800 000 dollars par mois pour la coalition AFC-M23 de la mi-mai à la fin octobre 2024[8].

Cette partie du globe offre une grille de lecture particulièrement violente des enjeux économiques et de prédation qui caractérisent l’exploitation des métaux dans les zones en proie aux conflits. D’une part, l’Union européenne a récemment conclu avec le Rwanda un accord pour l’approvisionnement durable en métaux, en particulier en matières premières critiques, alors même que certain·es analystes s’accordent à dire que ces minerais proviendraient du pillage des ressources à l’Est de la RD Congo. D’autre part, nous voyons avec l’Initiative sur les matières premières critiques de l’UE, que la Commission européenne confirme la dépendance extérieure de l’industrie de défense européenne aux minerais comme le tungstène, le tantale et le cobalt qui sont aussi vitales pour les technologies militaires et les armes[9]. Il est clair dès lors que les velléités des États d’entrer en possession des métaux dans les contextes fragilisés par les conflits ne sont un secret pour personne. Cela étant, nous constatons pour le déplorer qu’en dépit des réglementations, souvent opaques, la plupart de ces métaux accèdent aux circuits d’approvisionnement légaux et sont destinés aux firmes de transformations, aux fonderies, aux entreprises technologiques et à l’industrie des armes, qui sont pour la grande majorité implantées aux USA et en Europe.

Mais puisque la prolifération et la circulation des armes dans les zones en conflit est ce qui favorise le conflit, il est à se demander quelles responsabilités « les entreprises de guerre » portent-elles. Quand on sait que « les minerais de sang »[10], (dont font partis le tungstène et le tantale) et qui ont de très fortes applications militaires, sont prisées pour la fabrication des armes, lesquelles armes sont finalement utilisées par les groupes armés pour maintenir les situations de conflit. Il suffit pour s’en convaincre de s’intéresser au flux illicite d’armes légères et de petits calibres dans les contextes fragiles. Même s’il y est difficile, voire impossible, de déterminer le nombre d’armes en circulation, il s’est multiplié au cours des dernières décennies reconnait Christiane Agboton-Johnson, ex-directrice adjointe de l’Institut des Nations Unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR)[11]. L’hyper-extractivisme des métaux dans les zones en conflit est résolument au service de la guerre plutôt que de tout autre objectif. Non seulement l’exploitation des métaux dans ces zones entraîne des conséquences très néfastes sur l’environnement, mais encore, les conflits eux-mêmes ont des facteurs aggravants sur la destruction des écosystèmes, avec un impact écologique considérable.

L’exploitation des métaux exerce une pression sur les terres et les eaux avec des conséquences catastrophiques sur la faune et la flore. Les zones en conflit sont potentiellement écocidaires. Les méthodes de guerre autant que les exploitations de ressources dans les zones en conflit peuvent conduire à des dommages irréversibles sur l’environnement. C’est la raison pour laquelle le rôle de la protection continue de l’environnement dans les zones touchées par les conflits armés demeure une préoccupation majeure. Cela a été souligné à juste titre par l’Assemblée des Nations-Unies pour l’environnement à travers une résolution adoptée en 2016[12].

Les zones en conflit sont potentiellement écocidaires

Face à cette situation, quelle posture adopter ? 

  • Au niveau citoyen il est essentiel que nous continuions d’informer et nous informer, afin de renforcer la mobilisation pour d’obtenir une réglementation plus contraignante sur la provenance, la vente et le commerce des métaux stratégiques et qui inclut tous les acteur·rices de la chaine d’approvisionnement.
  • Concernant les armes légères et de petits calibres, il serait tout aussi important d’organiser un meilleur contrôle du flux des armes par un système de traçabilité plus rigoureux à l’égard des entreprises.
  •  Au niveau global, une plus forte responsabilisation des grandes entreprises passera par l’adoption du traité de l’ONU sur les sociétés transnationales et les droits humains, qui est toujours en négociation au sein du Conseil des droits de l’homme depuis 11 ans. Combien de temps faudra-t-il encore attendre ?
  • Un réel engagement de la communauté internationale en faveur de la paix est nécessaire, ainsi que l’abandon du “deux poids deux mesures” et des calculs politiques qui font beaucoup de tort à l’humanité et à la nature.
  • Nous devons promouvoir une gestion plus durable des ressources, qui tienne compte à la fois des droits humains et des aspirations des communautés locales.
  • Il faudrait une très large synergie d’actions pour une refonte du modèle économique des pays à faibles revenus, riches en ressources minières vis-à-vis des pays économiquement forts, et émergents. L’extractivisme est une vieille pratique économique coloniale qui, aujourd’hui, ne profite malheureusement pas au développement des PRFI, tant les guerres civiles et conflits sociaux s’apparentent de plus en plus à ce phénomène.

Ramener la paix dans les zones en conflit s’avère être ce qu’il y a de plus fondamental, Prévenir les conflits par une gestion durable des ressources minières. c’est aussi protéger l’environnement.

Merlin Fotabong Assoua.


[1] Groupe de 16 métaux aux propriétés semblables (yttrium, lanthane, cérium, néodyme, terbium, dysprosium, etc).  Contrairement à ce que leur nom indique, elles sont répandues et on ne les trouve jamais à l’état pur. Leur raffinage est complexe et polluant. Elles sont utilisées entre autres dans les aimants de missiles. Commission Justice et Paix, derrière nos écrans : les enjeux de l’exploitation minière, Dossier pédagogique, 2019, p.14

[2] https://gresea.be/Le-pillage-muscle-par-l-hyperextractivisme

[3] Commission Justice et Paix, op., cit., p.9

[4] Bisht, Arpita., et al. « Extractivisme prédateur et conflits de distribution écologique : Le minerai de fer en Inde ». Multitudes, 2019/2 n° 75, 2019. p.180-185

[5] Christophe Boltanski, Minerais de sang. Les esclaves du monde moderne, folio actuel, 2014. p. 32

[6] Rapport à mi-parcours du Groupe d’experts de l’ONU sur la République Démocratique du Congo, 27 décembre 2024, p., 15. http://www.undocs.org/fr/S/2024/969

[7] Ibid.,

[8] Ibid.,

[9] Rapport 2020 de la Commission européenne sur « les matières premières essentielles pour les technologies et les secteurs stratégiques de l’UE, une étude prospective », p. 70

[10] Par l’expression « minerais de sang » on désigne quatre minerais et métaux – étain, tungstène,
tantale et or – dont la production est souvent contrôlée par des groupes armés, en République
démocratique du Congo (essentiellement dans la région du Kivu) et dans la région des Grands Lacs
mais aussi au Zimbabwe, en République centrafricaine, en Birmanie ou encore en Colombie. Ce pillage
de ressources est difficile à chiffrer mais l’ONU estime qu’en 2013, 98% de l’or produit en RDC est
sorti clandestinement du pays. Ces minerais se retrouvent pourtant dans des filières de production
officielles et « légales ».

[11]https://information.tv5monde.com/afrique/video/armes-une-proliferation-inquietante-en-afrique-2758638

[12] PNUE – Programme des Nations Unies pour L’environnement. 2/15. Protection de l’environnement dans les zones touchées par les conflits armés – UNEP/EA.2/Res.15. New York : PNUE, 2016.

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