La protection de l’environnement en temps de conflit armé

La protection de l’environnement en temps de guerre et de paix n’est pas seulement une question juridique ou humanitaire : elle est un enjeu moral et existentiel pour l’avenir de notre planète. Une approche intégrée, combinant prévention, protection et responsabilisation, est indispensable pour garantir un avenir durable, même en période de conflit. Il est temps que la communauté internationale prenne des mesures concrètes pour mettre fin à l’impunité des crimes environnementaux et assure une véritable justice environnementale.

Les conflits armés engendrent des dégâts bien au-delà des pertes humaines et de la destruction des infrastructures. L’environnement naturel, souvent considéré comme une « victime collatérale », subit des dommages considérables : écosystèmes détruits, ressources contaminées, affaiblissement des politiques environnementales, etc. Ces effets touchent directement les populations vulnérables et compromettent la sécurité humaine à long terme.

Garantir la préservation de l’environnement en période de guerre est donc une exigence humanitaire et juridique. Le Droit International Humanitaire (DIH) et le droit international des droits humains (DIDH) y jouent un rôle clé. L’Assemblée générale des Nations Unies a d’ailleurs reconnu le droit à un environnement propre, sain et durable (HR2HE) dans la résolution A/RES/73/194. Cette protection repose sur trois axes fondamentaux : prévention, protection et réparation[1].

Approches juridiques complémentaires : anthropocentrisme et écocentrisme

Deux approches influencent la protection de l’environnement dans les deux branches du droit : l’anthropocentrisme, qui vise à préserver l’environnement pour la sécurité et les droits humains des populations, et l’écocentrisme, qui reconnaît à l’environnement une valeur intrinsèque[2]. Un exemple illustratif est la reconnaissance progressive des “droits de la nature” dans certains systèmes juridiques nationaux, comme en Équateur, où l’article 14 de Constitution garantit un statut juridique aux écosystèmes.

L’approche anthropocentrique

Dans le DIH, l’environnement est protégé indirectement en tant que bien civil. Il bénéficie des principes fondamentaux du DIH : distinction, précaution et proportionnalité. L’article 23 du Règlement de la Haye interdit la destruction inutile des ressources ennemies, tandis que l’article 55  de la IV Convention de Genève impose aux forces occupantes de préserver les ressources naturelles. L’article 54 du Protocole additionnel I renforce cette protection en interdisant la destruction des biens indispensables à la survie des populations. Aussi le Protocole additionnel II a des normes similaires pour les conflits non-internationaux.

Les installations contenant des forces dangereuses, telles que les barrages et les centrales nucléaires, bénéficient également d’une protection spécifique en vertu de l’article 56 du Protocole additionnel I. De plus, certains sites naturels, considérés comme des biens culturels d’importance exceptionnelle, sont protégés par l’article4 de la Convention de La Haye de 1954. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) souligne que plusieurs de ces règles relèvent aussi du droit coutumier, les rendant ainsi applicables aussi bien aux conflits internationaux qu’aux conflits « internes ».[3]

L’emploi d’armes causant des dommages environnementaux graves est également réglementé. Par exemple, le Protocole III de la Convention sur certaines armes classiques (CCW) interdit l’usage indiscriminé d’armes incendiaires, tandis que le Protocole V vise à limiter l’impact des restes explosifs de guerre. L’utilisation du napalm et du phosphore blanc dans des zones civiles a notamment suscité d’importants débats juridiques et humanitaires.

Dans le DIDH, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a renforcé cette approche. Dans l’affaire López Ostra c. Espagne, la Cour a reconnu que des atteintes environnementales graves peuvent constituer une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme). De même, dans Tătar c. Roumanie, la CEDH a affirmé que la pollution industrielle pouvait engager la responsabilité de l’État lorsqu’elle mettait en danger la santé publique. Dans ce contexte, les dommages environnementaux peuvent être considérés sous l’angle des droits humains pour assurer la protection et la remédiation post-conflit[4]. La reconnaissance de ces atteintes en tant que violations des droits humains permet d’exiger des mesures de réparation adaptées et de renforcer la résilience des populations affectées.[5]

L’approche écocentrique

Le DIH intègre progressivement cette vision. Les articles 35(3) et 55(1) du Protocole additionnel I interdisent les dommages étendus, graves et durables à l’environnement. De plus, la Convention ENMOD de 1976 interdit l’usage militaire de modifications environnementales visant à causer des destructions durables.

Dans le DIDH, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a renforcé cette approche avec son avis consultatif OC-23/17, établissant que le droit à un environnement sain protège aussi les écosystèmes et les peuples qui en dépendent. Cette reconnaissance renforce la nécessité de considérer l’environnement comme un sujet de droit en lui-même, nécessitant des mesures spécifiques de protection au-delà de son impact sur l’humanité. Cela signifie qu’il protège la nature non seulement en raison des bénéfices qu’elle procure à l’humanité ou des effets de sa dégradation sur d’autres droits humains, comme la santé, la vie ou l’intégrité personnelle, mais aussi pour son importance intrinsèque pour les autres organismes vivants avec lesquels nous partageons la planète.

Vers une protection renforcée de l’environnement en temps de conflit armé

L’adoption des Principes directeurs sur la protection de l’environnement en relation avec les conflits armés par la Commission du droit international des Nations Unies en 2022 constitue une avancée majeure. Ces principes, qui intègrent des obligations tant en temps de conflit qu’en période post-conflit, soulignent la nécessité d’une protection proactive de l’environnement et d’une remédiation efficace des dommages causés par la guerre. Ils établissent un cadre juridique renforcé pour limiter l’impact des hostilités sur les écosystèmes et garantir la responsabilité des acteur·rices impliqué·es. Le CICR a aussi publié une ligne directrice sur la protection de l’environnement dans les conflits armés.

Malgré un cadre juridique existant, plusieurs obstacles entravent son application. Une interprétation floue des termes « dommages étendus, graves et durables » complique l’identification des violations. L’évaluation des dommages environnementaux est souvent difficile, car ces derniers peuvent se manifester sur le long terme. L’invocation d’intérêts militaires justifie parfois des actions destructrices, limitant ainsi la portée des protections environnementales. D’autre part, la reconnaissance des atteintes environnementales en tant que violations des droits humains reste inégale et dépendante des juridictions nationales et internationales. En plus, la gouvernance fragmentée et le manque de cohérence entre les politiques environnementales, économiques et sociales entravent la mise en œuvre efficace du HR2HR. Ce défi est aggravé par la nécessité de renforcer les capacités et la formation des décideur·euses à tous les niveaux afin d’intégrer pleinement le HR2HE dans les politiques et pratiques publiques. Enfin, l’accès à la justice pour les victimes de dommages environnementaux liés aux conflits reste limité, en raison de la difficulté de prouver la responsabilité des parties impliquées et du manque de recours effectifs[6].

La justice pénale internationale demeure timide face aux crimes environnementaux. La Cour pénale internationale (CPI) peut poursuivre de tels crimes en vertu de l’article 8(2)(b)(iv) du Statut de Rome, mais les affaires traitant spécifiquement des dommages environnementaux restent rares. L’initiative Stop Ecocide milite pour l’inclusion explicite de l’écocide parmi les crimes jugés par la CPI[7].

Renforcer la responsabilisation et la réparation

Pour une protection efficace de l’environnement en temps de guerre, plusieurs initiatives doivent être mises en place. Il est essentiel d’identifier et de protéger les zones environnementales sensibles en période de conflit. Le renforcement des mécanismes de réparation post-conflit est également primordial, notamment à travers la décontamination des sols et de l’eau, ainsi que la restauration des écosystèmes endommagés.

Les crimes environnementaux devraient être poursuivis devant la CPI et d’autres tribunaux compétents afin d’assurer justice et responsabilisation des parties responsables. Par ailleurs, la mise en place de fonds de réparation et l’indemnisation des populations affectées contribueraient à un retour progressif à un environnement sain et viable. D’autre part, une meilleure transparence et un accès accru à l’information sur les impacts environnementaux des conflits permettraient une mobilisation internationale plus efficace.

Enfin, la prévention est tout aussi cruciale. La mise en place de mécanismes d’alerte précoce (early warning) peut jouer un rôle central en identifiant les risques environnementaux susceptibles d’aggraver les tensions et de déclencher des conflits. La sécurité climatique  (climate security), en intégrant les liens entre changement climatique, raréfaction des ressources naturelles et instabilité géopolitique, constitue un levier stratégique pour anticiper et prévenir les crises avant qu’elles ne dégénèrent en conflits armés.

Conclusion : un impératif mondial pour un avenir durable

Les conséquences environnementales des conflits armés menacent la sécurité alimentaire, la santé publique et la stabilité sociétale. Bien que le DIH et le DIDH offrent un cadre juridique structuré, leur application effective exige un engagement international renforcé.

La protection de l’environnement en temps de guerre et de paix n’est pas seulement une question juridique ou humanitaire : elle est un enjeu moral et existentiel pour l’avenir de notre planète. Une approche intégrée, combinant prévention, protection et responsabilisation, est indispensable pour garantir un avenir durable, même en période de conflit. Il est temps que la communauté internationale prenne des mesures concrètes pour mettre fin à l’impunité des crimes environnementaux et assurer une véritable justice environnementale.

Mattia Tosato.


[1]  Boyd, David R. « The Right to a Healthy Environment: A User’s Guide ». UN Human Rights Special Procedures, 2024.

[2] Ubushieva, Baïna, et Christophe Golay. « The Human Right to a Clean, Healthy and Sustainable Environment: Understanding its Scope, States’ Obligations and Links with Other Human Rights ». Geneva Academy, mars 2024.

[3] Règles similaires présentes aussi dans le Protocole additionnel II.

[4] Pour la relation entre DIH et DIDH voir SASSÒLI, Marco. « Le droit international humanitaire, une lex specialis par rapport aux droits humains? », Schulthess, 2007. p. 375–395.

[5] Bailleux, Antoine. « Le droit en transition. La science juridique face aux défis d’une prospérité sans croissance ». Dans Le droit en transition. Les clés juridiques d’une prospérité sans croissance, sous la direction d’Antoine Bailleux, Presses de l’Université Saint-Louis – Bruxelles, 2020.

[6] Sébastien MABILE. « Les justiciables se saisissent-ils du droit de l’environnement ? », Titre VII [en ligne], n° 13, L’environnement, novembre 2024.

[7] Voir la rubrique « Portrait » en fin de revue.

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