La mine de demain : regard critique sur la mine urbaine

Face à la raréfaction des matières premières et à la crise environnementale, il apparaît de plus en plus que nos déchets d’aujourd’hui sont nos ressources de demain. Et si la vraie solution était de consommer moins, plutôt que de mieux jeter ?

Stack of old, broken and obsolete laptop computer for repair and recycle

Longtemps relégués à l’arrière-plan des préoccupations humaines, les déchets qui dévastent notre planète sont aujourd’hui au cœur des enjeux environnementaux, économiques et géostratégiques les plus pressants. D’un côté, l’urbanisation accélérée, la croissance démographique soutenue et la consommation à outrance conduisent à une augmentation exponentielle de la production mondiale de déchets. De l’autre, la prise de conscience écologique, la raréfaction des matières premières et la hausse de leurs prix sur les marchés internationaux amènent à reconsidérer nos déchets comme de véritables « matières premières de substitution ». Dans un tel contexte, un nouvel espoir semble se dessiner : celui des mines urbaines : pourquoi continuer d’extraire les métaux du sol, avec tous les dommages environnementaux que cela engendre, lorsque ces mêmes métaux sont présents en quantité dans nos poubelles ? Cependant, en offrant une alternative à l’extraction minière traditionnelle, le modèle de la mine urbaine pourrait bien dissimuler d’autres contradictions qu’il convient d’explorer.

La mine urbaine, de quoi parle-t-on ?

On désigne généralement les mines urbaines comme l’ensemble des déchets produits par l’humain dont on peut extraire des matières premières par le recyclage. Si le concept englobe divers matériaux secondaires (plastiques, papiers, eaux usées), il trouve une pertinence particulière dans le domaine des déchets électroniques ou « E-déchets ». Ces derniers constituent une catégorie « à haute valeur ajoutée », caractérisée par leur richesse en métaux rares. En Europe, ces déchets sont catégorisés sous l’appellation D3E (Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques) et comprennent des appareils aussi variés que les smartphones, fours, ordinateurs ou machines à laver. L’importance de ces E-déchets est d’autant plus probante qu’ils représentent aujourd’hui l’un des flux de déchets à la croissance la plus rapide au niveau mondial. On estime qu’à l’heure actuelle, les métaux accumulés par les humains et mis en circulation constituent un stock équivalent à celui encore enfui sous terre. Plus encore, selon un rapport de la Global e-Sustainability Initiative (GeSI) et de l’université des Nations-Unies, certaines mines urbaines renfermeraient des concentrations en métaux précieux 40 à 50 fois plus importantes que dans les mines traditionnelles.

De manière générale, l’exploitation des déchets offre trois avantages majeurs qui en font aujourd’hui une solution particulièrement prometteuse. Premièrement, recycler les déchets, c’est avant tout éviter qu’ils ne polluent notre environnement. En effet, le recyclage permet de réduire mécaniquement la quantité de déchet et ainsi d’atténuer leur impact négatif sur les écosystèmes et la santé publique. Deuxièmement, la production de métaux par le recyclage s’avère significativement moins énergivore et moins polluante que leur extraction « primaire ». L’exploitation de ces ressources « secondaires » devrait ainsi limiter les dégradations environnementales associées à l’extraction minière conventionnelle. Enfin, alors que les matières premières se raréfient et que la demande mondiale augmente, la mine urbaine représente une opportunité géostratégique de taille permettant aux États de sécuriser leurs approvisionnements en métaux stratégiques[1] et ainsi de gagner en souveraineté.

On le comprend, les mines urbaines portent en elle l’espoir d’une révolution écologique en puissance. Elles permettraient de faire d’une pierre trois coups, en freinant la production de déchets, en limitant la dégradation de l’environnement causée par l’extraction minière et en assurant aux États importateurs plus d’indépendance. Loin de rester une simple abstraction théorique, la mine urbaine s’impose progressivement comme un nouveau modèle minier à l’échelle internationale. Ces vingt dernières années, la Banque mondiale a soutenu 329 projets de gestion et des déchets solides dans le monde pour un total de 4,5 milliards de dollars. Au niveau Européen, la mine urbaine est reconnue comme une ressource stratégique incontournable depuis 2008, l’Union européenne ayant intégré dans son plan pour les matières premières critiques[2] l’objectif d’assurer 15 % de son approvisionnement via le recyclage sur son propre territoire. Enfin, l’usine de recyclage belge Umicore, leader européen du recyclage des D3E, parvient à elle seule à produire près de 100 tonnes d’or par an, une quantité comparable, voire supérieure, à celle des plus grandes mines conventionnelles du monde.

Cependant, le recyclage présente des obstacles complexes souvent ignorés. Au-delà de l’enthousiasme suscité, il faut se poser la question suivante : ce modèle est-il vraiment à la hauteur des défis qu’il prétend résoudre ?

Les limites du recyclage industriel

Si le modèle de la mine urbaine paraît prometteur, sa mise en œuvre effective rencontre plusieurs obstacles qui limitent non seulement son efficacité extractive, mais aussi et surtout ses bénéfices environnementaux. Tout d’abord, la complexité des appareils électroniques modernes rend leur recyclage particulièrement difficile. Chaque constructeur utilise une technologie de fabrication distincte, avec une composition chimique unique, nécessitant des procédés de recyclage différents. Par ailleurs, diverses pratiques industrielles, telles que l’usage dispersif de métaux (par exemple, des pigments ou colorants dans les encres et les peintures), condamnent le potentiel recyclable de nombreux objets électroniques. De plus, face à la hausse des prix de certains métaux, les constructeurs ont tendance à diminuer la quantité de métaux coûteux dans la fabrication de leurs produits, ce qui torpille le modèle du recycleur qui a tout intérêt à la haute concentration de métaux dans les objets qu’il recycle.

Une fois l’objet fabriqué et utilisé, le principal obstacle provient des consommateur·rices, qui ont tendance à conserver leurs appareils électroniques inutilisés plutôt que de les remettre dans une filière de recyclage adaptée. Ce comportement est devenu si courant qu’il est désormais désigné sous le terme d’« hibernation électronique ». En moyenne un foyer belge contient 106 équipements électroniques dont 12 sont cassés ou inutilisés. Cela signifie qu’en Belgique, 55 millions d’appareils électroniques dorment au fond de nos tiroirs.

Le recyclage est ensuite limité par plusieurs facteurs technico-économiques complexes. En effet, la concentration en métaux des mines urbaines n’est pas toujours plus élevée que celle des mines « primaires ». Certains métaux rares présentent en réalité une très faible concentration dans les déchets électroniques et demandent des procédés de recyclage particulièrement énergivore et parfois plus couteux que leur extraction depuis les sols. Dans certains cas, la récupération de ces métaux nécessite même des traitements chimiques polluants qui annulent tout simplement les bénéfices environnementaux du recyclage. Il convient également de casser le mythe du recyclage infini. En effet, des pertes surviennent à chaque étape du processus de recyclage, et le métal finit par se dissiper. Par exemple, des métaux courants comme le fer, le cuivre ou le nickel ne résistent qu’à 2 ou 3 cycles avant de se perdre.

L’argument écologique de la mine urbaine est également mis à mal par la privatisation du secteur. La gestion des déchets représente aujourd’hui un secteur économique stratégique et une industrie lucrative qui pèse pas moins de 200 milliards de dollars. Si la promesse écologique du recyclage reste un argument de vente, la réalité est que les entreprises privées chargées du recyclage ciblent les métaux à haute rentabilité économique, aux dépens des métaux moins précieux et plus polluants. En outre, ces entreprises privilégient généralement des pratiques qui maximisent leurs profits immédiats, au détriment des objectifs à long terme de développement durable et de réduction de l’impact environnemental global. Ce modèle, orienté vers la rentabilité, soulève ainsi des interrogations sérieuses sur la réelle efficacité écologique de la mine urbaine.

Enfin, l’évolution constante de notre consommation annule encore les maigres bénéfices écologiques du recyclage. En effet, tout comme la production d’énergie renouvelable a tendance à s’ajouter à celle des énergies fossiles plutôt que de la remplacer, la consommation de matériaux recyclés a tendance à s’ajouter à celle des matières premières extraites directement depuis les sols. En fait, tant que la consommation globale continue d’augmenter, la demande de ressources naturelles ne cessera, elle aussi, de croître. Le recyclage peut, certes, réduire l’impact de l’extraction des ressources, mais il ne peut pas compenser l’augmentation constante de la consommation. Autrement dit, même avec un recyclage parfait, il faudra toujours aller chercher de nouvelles matières premières dans les sols pour satisfaire une demande toujours croissante.

Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas

En fin de compte, notre intérêt pour les mines urbaines questionne encore et toujours le réalisme de la technologie et de la technocratie en l’état. Le recyclage, présenté comme une solution technique à la crise environnementale, s’avère moins une solution écologique qu’un moyen de perpétuer un modèle économique extractiviste rentable sous couvert de durabilité. En outre, derrière la promesse des mines urbaines se cache un problème de fond : la croissance continue des besoins humains en métaux et autres ressources. Il est donc crucial de se poser la question suivante : la mine urbaine est-elle une solution véritablement durable ou une tentative de panser les symptômes d’un modèle de croissance insoutenable ? En réalité, même si l’idée de récupérer les métaux présents dans nos poubelles est louable, elle ne répond pas aux causes profondes du problème, à savoir, la surconsommation. Au-delà de l’amélioration des pratiques de recyclage, ce sont avant tout nos modes de consommation qu’il est urgent de repenser.

Commençons par privilégier la réparation et la réutilisation de nos appareils électroniques : de nombreux objets peuvent être réparés, prolongeant ainsi leur durée de vie en réduisant la demande en nouvelle ressource. Lorsque nos appareils ne sont plus utilisables, assurons-nous de les déposer dans une filière de recyclage adaptée. En Belgique, l’ASBL Recupel, spécialisée dans la collecte et le recyclage des appareils électroniques, propose un réseau étendu de points de dépôt accessibles à tous·tes. Mais surtout, adoptons une consommation plus sobre : avant d’acheter un appareil électronique, questionnons-nous sur sa réelle nécessité et privilégions des appareils reconditionnés ou modulaires, conçus pour être facilement réparable. Enfin, soutenons les initiatives locales engagées dans l’économie circulaire.

La transition vers une société sobre et écologique dépendra de notre capacité à remettre en question nos besoins réels, à résister au marketing excessif et à déconstruire la culture de la surconsommation. En fin de compte, face à la crise environnementale et l’épuisement des ressources naturelles, il apparaît de plus en plus que, malgré tout, ce sont nos modes de consommation qui doivent évoluer et que sobriété et décroissance sont les mots clés de notre avenir.

Martin Rutsaert.


[1] Un métal est stratégique quand il est indispensable à la politique économique d’un État (sécurité, défense, politique énergétique, etc.)

[2] Un métal est critique lorsqu’il présente un risque élevé de rupture d’approvisionnement.

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