Gaz à effets de serre, qui paie la facture ?

Actuellement, de nombreuses régions du monde sont dévastées par des évènements climatiques violents. Or, les pays riches sont souvent moins durement impactés. Face à cette injustice, la COP 27 de 2022 a enfin acté la mise en place d’un fond des pertes et dommages visant un soutien financier international et solidaire d’aide à la reconstruction.

crédit image: pexels: pok-rie

Entre le mois de juin et novembre 2022, le Pakistan a connu la mousson la plus dévastatrice de son histoire. Au mois d’août, une quantité d’eau jusqu’à 7 x supérieure à la normale s’est abattue sur le sud-est et le centre du pays. Cette catastrophe a fait au moins 1 700 morts, affectant 33 millions d’habitants, détruisant 250 000 habitations et 1,8 million d’hectares de terres agricoles. Le dommage financier était estimé en janvier 2023, à plus de 30 milliards d’euros , juste pour les conséquences économiques directes[1]. Dans cette facture déjà très salée devront s’ajouter les coûts liés aux conséquences indirectes (épidémies éventuelles, destruction de zones agricoles, etc.).  

La catastrophe qui a touché le Pakistan est l’un des nombreux exemples de phénomènes climatiques extrêmes qui apparaissent dans différentes régions du monde ces dernières années. Ouragans, sécheresses, inondations, ont touché les pays du Nord comme ceux du Sud en 2022 avec beaucoup plus de violence qu’auparavant.

Les aléas climatiques, entre vulnérabilité et exposition géographique

Le rapport final du GIEC du 20 mars dernier qui résume les rapports précédents est formel quant à l’origine anthropique du phénomène : c’est désormais la planète tout entière et le Vivant qu’elle abrite qui est touché par cette urgence climatique que nous causons. Toutefois, ces risques – qu’on appelle aussi aléas climatiques[2]  – ne marquent pas les territoires de la même façon : une période de sècheresse en France n’a pas les mêmes conséquences qu’une sécheresse dans la Corne de l’Afrique. Les effets seront plus dévastateurs et durables en fonction de leur exposition géographique et leur vulnérabilité.

L’explication quant à l’exposition géographique du lieu touché est assez simple : on n’est pas impacté de la même manière par une inondation en bord de fleuve ou à deux-cents kilomètres de la rive. En revanche, pour la vulnérabilité, il y a plusieurs facteurs qui entrent en compte dans la capacité du territoire à faire face au choc dû au phénomène climatique en lui-même et à son impact négatif à plus long terme tels que, par exemple, le contexte socioéconomique  (niveau de développement, ressources, infrastructures développées , l’accès aux ressources, …), la situation politique ou le contexte culturel[3].

Une injustice criante face aux aléas climatiques

En considérant l’ensemble des pays du monde, toujours d’après le rapport du GIEC, nous savons qu’ entre 3,3 et 3,6 milliards d’êtres humains vivent dans des conditions hautement vulnérables au changement climatique. Au regard de cette logique des trois piliers du risque climatique, ces personnes vivent dans des pays en voie de développement – principalement les plus pauvres d’entre eux – et dans les petits États insulaires[4]. Cette fois encore et sans surprise, les pays les plus riches sont les plus résilients face aux aléas climatiques alors que les pays les plus pauvres ont bien souvent le plus de mal à se relever de ces catastrophes.

Par ailleurs, le coût cumulé des dégâts à court terme est aujourd’hui évalué par le GIEC entre 300 et 600 milliards de dollars par an, et ceci, pour le seul coût économique car c’est évidemment sans compter sur la perte de la biodiversité, de lieux à haute valeur culturelle et historique, et les relocalisations forcées, migrations et autres traumatismes psychologiques que subissent les populations. Les scientifiques ont estimé que cette fourchette économique pourrait être valable jusqu’en 2030 mais que ce montant augmentera par la suite du fait de l’aggravation en fréquence, en intensité, en durée et en étendue géographique des aléas climatiques[5].

Dès lors, comment est-ce que ces pays du sud déjà si vulnérables pourront-ils payer la facture des dégâts sans s’endetter encore plus sur du long terme ? Seuls, c’est impossible. La pilule de cette inégalité est d’autant plus difficile à avaler quand on sait que les pays riches sont responsables de la moitié des émissions de gaz à effet de serre cumulés depuis le début de l’ère préindustrielle tout en ne pesant, en termes de population, que 12 % de l’Humanité.

Face à ce constat, trois solutions s’offrent à nous : premièrement, diminuer les émissions de gaz à effet de serre, deuxièmement, rendre les territoires plus résilients face aux chocs (en amont, donc) et troisièmement, permettre aux territoires de réparer rapidement les dégâts occasionnés.

La COP27 ou comment agir sur les symptômes et non les causes de la crise

Sommes-nous tellement aveuglés et endurcis que nous ne pouvons plus apprécier les cris de l’Humanité ? C’est avec ces mots que la première ministre de la Barbade Mia Motley a interpelé les chefs d’Etats lors de l’ouverture de la COP 27 en Egypte en novembre 2022[6]. Lors de ses prises de parole aux COP 26 et 27, elle a appelé les chefs d’Etats – et ceux des pays développés en particulier – à prendre leurs responsabilités en termes de « réparation » des dégâts climatiques qui sont causés.

Aujourd’hui, si la question de la taxation des énergies fossiles (les principales causes des émissions des GES) reste encore un tabou dans les discussions internationales, la COP 27 de 2022 s’est attaquée pour la première fois aux réparations en reconnaissant la nécessité d’aider financièrement les pays les plus vulnérables à faire face aux dégâts causés par le réchauffement.  

Sur la table depuis les années 1990, cette « dette climatique » doit son existence à l’alliance des petits Etats insulaires (AOSIS). Il faudra attendre 2013 pour que le Mécanisme international de Varsovie acte cette demande [7], 2015, pour que les accords de Paris la confirment et, 2022 – le choc des inondations au Pakistan et les discours de Mia Mottley aux COP26 et 27 – pour que ce point apparaisse enfin de façon concrète dans les négociations[8]. Ce (trop) long délai tient de la difficulté pour les pays riches d’assumer une responsabilité historique des pays développés mais aussi de la crainte qu’une reconnaissance de l’existence d’une dette climatique à l’égard des pays en voie de développement n’aille ouvrir la porte à des risques de poursuites judiciaires et autres demandes de compensations potentielles.

Dans la nuit du 19 au 20 décembre 2022, le président de la COP 27 appelle au vote sur cette question des pertes et dommages. Elle est adoptée. C’est la surprise générale car ce point n’était même pas à l’ordre du jour de la COP 27. Il y a été rajouté à la demande de l’Union Européenne qui a changé d’avis, suivie par les Etats-Unis. Bien que cette solution – seule avancée réelle de la CO27 – soit encore totalement insuffisante, c’est une avancée internationale qui doit être saluée.

Un fond des pertes et dommages, de quoi s’agit-il concrètement ?

A ce stade, ce fond n’est encore qu’une coquille vide car l’accord ne prévoit rien quant aux détails des payeurs et des bénéficiaires.

A qui sera-t-il destiné ? Puisque la notion de vulnérabilité n’est pas définie, on pense qu’au moins, les « Pays les Moins Avancés (PMA) – un groupe de 46 pays dont la liste a été établie par l’ONU en fonction du PIB et de l’IDH – mais aussi les petites îles du Pacifique qui sont déjà gravement menacées par la montée des eaux pourront en bénéficier. Toutefois, c’est plus compliqué car, si l’on reprend le cas du Pakistan, par exemple, il ne faisait – tout du moins, avant le mois d’août – pas partie des deux catégories de pays précités.

Par qui sera-t-il alimenté ? Les pays les plus développés seraient les plus légitimes à alimenter ce fond. Mais, depuis le début des années 1990, plusieurs pays émergents se sont enrichis et ont émis beaucoup de gaz à effets de serre. La Chine, par exemple, qui est aujourd’hui le premier pays émetteur de GES au monde, a rattrapé les autres pays pollueurs en se plaçant à la seconde place de la quantité de GES émise cumulée depuis l’ère préindustrielle. Quant aux entreprises, que pourrions-nous en attendre alors que certaines sont très émettrices et ne payent même pas leur part fiscale ? Là encore, rien n’est inscrit aujourd’hui. Actuellement, les versements se font sur base volontaire : douze gouvernements tels que l’Écosse, la Wallonie (qui avaient toutes deux déjà versé de l’argent avant la COP27), l’Allemagne, le Canada, ou la Nouvelle-Zélande ainsi que l’Union européenne ont promis de débloquer au total, environ 360 millions de dollars.  En outre, des organismes tels que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) ainsi que des banques de développement sont également mobilisées. Un groupe de réflexion a pour mission de donner corps à ce fonds en lui donnant une existence législative aboutie d’ici la future COP 28 de novembre 2023 à Dubaï. Les ONG plaident, de leur côté, pour l’ajout de financements innovants qui pourraient par exemple provenir de taxes sur les transactions financières, l’extraction des énergies fossiles ou sur les émissions des secteurs aérien et maritime[9].

Aujourd’hui, on est encore bien loin du compte d’une solidarité des pays du Nord vers les pays du Sud mais malgré tout, avec cette première reconnaissance d’une responsabilité des pays du Nord vers les pays du Sud et, si cela est rendu effectif, de la mise en place d’une taxation des activités hautement émettrices en GES, le coup d’envoi a été donné vers une réflexion plus importante. D’ailleurs, le 29 mars dernier, l’Assemblée générale a voté l’intention de demander à la Cour internationale de Justice (CIJ) un avis consultatif sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques[10]. Voilà une belle raison de rester d’optimiste !

Laure Didier.


[1] GEO, Pakistan : le bilan des inondations menace de grimper avec les maladies, selon l’ONU, 21.09.2022, https://www.geo.fr/environnement/pakistan-le-bilan-des-inondations-menace-de-grimper-avec-les-maladies-selon-lonu-211829.

[2] On appelle aléa climatique ou risque climatique tout évènement climatique ou d’origine climatique qui est susceptible de se produire (avec une probabilité plus ou moins élevée) et qui peut entraîner des dommages sur les populations, les activités et les milieux.

[3] OCDE, Gérer les risques climatiques et faire face aux pertes et dommages, mars 2022, 410 pp.

[4] Les petits États insulaires en développement (PEID) désignent un groupe hétérogène de territoires insulaires, situés pour la plupart dans les Caraïbes, l’océan Pacifique et l’océan Indien.

[5] GIEC (2021d), Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Masson-Delmotte, V. et al. (dir. pub.), Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni et New York, in press.

[6] Mia Mottley, Prime Minister of Barbados at the Opening of the COP27, World Leaders Summit, UN Climate Change, Sharm El-Sheikh.

[7] Le mécanisme international de Varsovie a été établi en novembre 2013 à la COP 19 pour remédier aux pertes et aux préjudices liés aux incidences des changements climatiques, notamment aux phénomènes météorologiques extrêmes et aux phénomènes qui se manifestent lentement, dans les pays en développement particulièrement exposés aux effets néfastes de ces changements.

[8] OCDE, Op cit.

[9] Boughriet R., COP 27 : ce que prévoit l’accord inédit sur les pertes et dommages, Actu environnement, 22.11.2022. 

[10] L’Assemblée générale demande à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques, Soixante-dix-septième session, 64e et 65e séances plénières – matin & après-midi, G/12497, 29 mars 2023.

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