Ressources naturelles et conflits : impasse en RD Congo et débouchés pour l’Europe

La République Démocratique du Congo (RD Congo), riche en minerais, est dévastée par des conflits exacerbés par leur exploitation. Cet article explore les liens entre ressources naturelles et violences, et propose des pistes pour une exploitation éthique et bénéfique pour toustes.

Léon Beckert, Unsplash

L’Afrique, dotée d’abondantes ressources naturelles, est, depuis longtemps, au centre de conflits dévastateurs, exacerbés par l’exploitation de ces richesses. La région des Grands Lacs, et en particulier la République Démocratique du Congo, offre un exemple frappant où la richesse en minerais stratégique coexiste avec une extrême pauvreté et une instabilité chronique. Cet article examine les multiples dimensions de cette problématique, mettant en lumière les causes économiques, politiques et idéologiques des conflits, ainsi que leurs effets diversifiés sur l’environnement, les femmes, les minorités et les communautés locales.

Le phénomène de l’exploitation des ressources naturelles en RD Congo ainsi que ses conséquences sont souvent ignorés des médias. Non seulement l’accessibilité aux sites d’exploitation est difficile en raison de l’épaisse forêt tropicale qui couvre une grande partie du territoire, mais aussi, les infrastructures de communication limitées compliquent également les déplacements entre l’Est et l’ouest du pays. Depuis trois décennies, des troubles d’origine ethnico-politiques et économiques sévissent dans la partie Est de la RD Congo. Ces conflits ont pris racine après qu’environ 2 millions de réfugié·e·s rwandais, majoritairement hutus, ont été accueillis en RD Congo au lendemain du génocide de 1994. Les déplacements de population qui en ont résulté ont complètement reconfiguré les provinces du Nord et Sud-Kivu ainsi que l’Ituri, maintenant une récurrence de tensions et de troubles interminables.

Ces tensions sont exacerbées par la présence de diverses ressources naturelles et stratégiques, essentielles pour les technologies modernes. Le coltan et le cobalt, indispensables à la fabrication de voitures électriques et de batteries de nouvelle génération, en sont des exemples. En conséquence, les conflits locaux ont des implications géopolitiques mondiales, attirant l’attention de puissances étrangères et d’entreprises multinationales. Pour une analyse approfondie des conséquences de cette exploitation, consultez nos précédents articles sur le site de Justice et Paix Belgique.

Le récent encerclement de la ville de Goma et l’occupation de la mine de Rubaya par le groupe rebelle du M23 mettent en évidence la centralité de l’extractivisme comme nerf de la guerre en Afrique centrale. Cette situation illustre les complexités de l’exploitation minière dans la région, où les enjeux dépassent largement les frontières nationales, en touchant des intérêts géopolitiques mondiaux.

La Belgique pourrait-elle être critiquée pour sa responsabilité historique en raison de son passé colonial en Afrique centrale ? Conserve-t-elle, encore aujourd’hui, une influence suffisante pour instaurer des pratiques éthiques dans le commerce des minerais en République Démocratique du Congo ?

Lors de récentes rencontres internationales, comme la visite du Président chinois et du Président congolais en France, des occasions de discuter de la traçabilité des minerais et du devoir de diligence dans la chaîne d’approvisionnement ont été manquées. Ces interactions ratées soulèvent des questions de volonté réelle des grandes puissances afin de s’attaquer aux racines du problème.

La traçabilité et la transparence dans l’extraction et le commerce des minerais sont essentielles pour assurer que les ressources naturelles de la RD Congo ne contribuent pas à alimenter les conflits ou à exploiter la population. Une vidéo de Justice et Paix Belgique explore plus en détail ces dynamiques complexes et propose des pistes de solutions.

Dans ce contexte, le rôle de la société civile belge est également essentiel. En tant que voix influente capable d’exercer une pression sur les acteurs politiques et économiques, la société civile peut inciter à la mise en place de politiques imposant aux entreprises belges impliquées dans l’extraction de ressources en RD Congo des règles strictes en matière de respect de l’environnement et d’adhésion à des normes éthiques rigoureuses.

Le paradoxe des richesses naturelles

Selon la théorie souvent avancée de la malédiction des ressources[1], les pays richement dotés en ressources naturelles, comme la RD Congo, connaissent souvent moins de croissance économique que ceux qui en sont dépourvus. Ces pays, tout en ayant une forte extraction minière, souffrent de sous-développement généralisé et sérieux[2]. La croissance économique peut être présente, mais elle est inégale et s’accompagne de problèmes politiques, d’inégalités et d’un faible niveau de développement humain.

Disposer de réserves minières n’est pas nécessairement problématique pour un pays, à condition que :

  • L’État, y compris les gouvernements régionaux, ait une vision du développement qui dépasse la simple question extractive (la seule vision extractiviste du développement ne suffit pas).
  • Cette vision et cette stratégie soient construites de manière démocratique à partir de la base.
  • L’État puisse administrer lui-même la question minière au bénéfice de sa population, même s’il ne s’occupe pas directement de l’extraction et du raffinage des minerais.
  • Le niveau de corruption soit limité.
  • Les corollaires négatifs inévitables de l’activité minière, tels que la pollution de l’eau et du sol, soient réduits.
  • Les revenus générés par l’activité minière soient équitablement répartis et servent à financer des programmes sociaux, culturels, etc.

Cependant, en RD Congo, ces conditions sont loin d’être remplies.

Cette observation semble particulièrement pertinente pour la RD Congo, où l’extractivisme, c’est-à-dire l’exploitation intensive des ressources minières telles que le coltan, le cobalt et l’or, n’a pas mené au « développement » attendu. Au contraire, il a alimenté des conflits armés et des crises sociales en exacerbant la pauvreté de la majorité des citoyen·nes congolais·es.

Il est crucial de démontrer que cette théorie n’est pas une règle générale. En effet, la mauvaise gestion des leaders et les appétits étrangers ont été plus déterminants dans la destruction du tissu économique de la RD Congo que la simple présence de ressources naturelles. Avant les années 1990, bien que les minerais étaient présents, leur impact négatif ne se faisait pas sentir autant qu’aujourd’hui. Cette période se caractérisait par une relative stabilité économique et sociale comparée à l’ère post-1990, marquée par une intensification des conflits et des crises économiques.

La mauvaise gestion des ressources par les leaders congolais·es a joué un rôle crucial dans la détérioration du tissu économique. La corruption généralisée, le manque de transparence et l’absence de politiques économiques durables ont entravé le développement économique du pays. Les recettes tirées des ressources minières ont souvent été détournées pour enrichir une élite restreinte, au détriment des investissements nécessaires dans les infrastructures, l’éducation et la santé. Cette mauvaise gouvernance a amplifié la pauvreté et les inégalités sociales.

Les appétits étrangers ont également contribué de manière significative à la déstabilisation de la RD Congo. Les multinationales et les puissances étrangères ont souvent exploité les ressources congolaises à des conditions très avantageuses pour elles, sans réel bénéfice pour le pays. Ces acteur·rices extérieurs·es ont parfois soutenu des groupes armés pour sécuriser leurs intérêts miniers, alimentant ainsi les conflits locaux et exacerbant l’instabilité politique et sociale.

Avant les années 1990, l’exploitation des ressources minières en RD Congo était plus contrôlée et moins sujette aux conflits violents. La période post-1990, en revanche, a vu une intensification des guerres et une exploitation anarchique des ressources. L’effondrement de l’État et la prolifération des groupes armés ont transformé les minerais en une source majeure de conflit, aggravant la crise humanitaire et économique.

La théorie de la « malédiction des ressources » n’offre qu’une explication partielle des difficultés économiques de la RD Congo. Elle ne doit pas occulter le rôle déterminant de la mauvaise gestion des leaders congolais·es et des appétits étrangers dans la destruction du tissu économique du pays. Une gouvernance plus transparente et responsable, ainsi qu’une gestion équitable des ressources, pourrait inverser cette tendance et transformer les richesses minières en un véritable levier de développement durable pour la RD Congo.

La chaîne d’approvisionnement de minerais : de la mine aux consommateurs·trices

L’exploitation des ressources naturelles a souvent conduit à l’expropriation des terres et à la marginalisation des communautés locales, laissant des séquelles environnementales et humaines importantes. Les compagnies minières, qu’elles soient locales ou internationales, s’engagent dans une course effrénée pour extraire le maximum de richesses, souvent au détriment de l’éthique et des droits humains. Cette dynamique crée des environnements de travail précaires et dangereux pour les travailleuses locales et travailleurs locaux, tout en détruisant les écosystèmes locaux qui soutiennent leurs moyens de subsistance.

La globalisation a transformé la chaîne d’approvisionnement des minerais, rendant le suivi de leur provenance extrêmement difficile. Le coltan, utilisé dans la fabrication de composants électroniques, illustre parfaitement cette opacité, avec des ramifications s’étendant à travers divers continents et acteurs économiques[3]. Cette complexité de la chaîne d’approvisionnement complique également la responsabilisation des entreprises concernant les violations des droits humains et les dommages environnementaux. Bien que des lois comme la section 1502 du Dodd-Frank Act aux États-Unis tentent de contrôler l’origine des minerais,  et l’adoption récente de la directive européenne sur  le devoir de diligence, leur efficacité reste discutable en raison des nombreux défis logistiques et de gouvernance[4].

Les conflits dans la région des Grands Lacs impliquent une multitude d’acteurs : entreprises minières, groupes armés (on en dénombre 266 en 2023) et entités étatiques. Ces conflits sont souvent alimentés par les revenus des minerais[5], créant un cycle perpétuel de violence et d’instabilité. Les guerres liées aux ressources naturelles ont des impacts profonds sur les populations locales, qui se retrouvent déplacées, exploitées, et souvent privées de leurs moyens de subsistance traditionnels lorsque leur habitat se retrouve dans les zones concédées par les autorités publiques du pays. Les entreprises, locales et internationales, jouent aussi un rôle crucial dans cette dynamique. Parfois complices, parfois victimes, elles naviguent dans un environnement où la corruption et la violence sont monnaie courante. En même temps, les populations locales, souvent démunies, subissent les conséquences de ces conflits, perdant non seulement leurs terres et leurs moyens de subsistance, mais aussi leur sécurité et leur avenir.

Pour briser le cycle de l’exploitation prédatrice, des initiatives comme l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) et le processus de Kimberley pour les diamants ont été proposées. Ces initiatives visent à rendre l’exploitation des ressources plus transparente et bénéfique pour les populations locales[6]. Bien que des progrès aient été réalisés, de nombreux défis demeurent, notamment en termes de mise en œuvre effective et d’adhésion universelle à ces normes.

Le nouveau Code minier congolais, adopté en 2018, introduit des innovations significatives, telles que l’augmentation des taxes et redevances minières, ainsi que des mesures de protection de l’environnement. Cependant, ces dispositions novatrices ne sont pas toujours respectées, même par les leaders politiques, limitant ainsi leur efficacité.

Les récentes publications scientifiques et les recherches menées par des universitaires belges, comme celles de François Gemenne[1] et de l’Université de Liège, soulignent les contradictions de la transition énergétique européenne. Ces recherches mettent en avant les impacts environnementaux et sociaux de l’extraction de cobalt, essentiel pour les batteries de voitures électriques, trottinettes et téléphones portables de plus en plus performants. Malgré cette richesse en ressources, la population congolaise continue de vivre dans une pauvreté extrême, avec un revenu quotidien inférieur à 2 € pour la majorité.

Implications en Belgique et en Europe

Pour répondre à ces enjeux, plusieurs initiatives ont été mises en place. En Belgique, la société civile joue un rôle crucial en faisant pression sur les dirigeant·e·s politiques et économiques pour qu’ils adoptent des pratiques plus éthiques. Des campagnes de sensibilisation, comme celles menées par l’ONG Justice et Paix, visent à informer le public et à encourager les entreprises à respecter les droits humains dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Au niveau européen, des réglementations telles que le Règlement sur les minerais provenant de zones de conflit, entré en vigueur en 2021, obligent les entreprises à effectuer des contrôles de diligence raisonnable pour s’assurer que leurs approvisionnements ne financent pas des conflits armés ou n’exploitent pas les populations locales. En Belgique, des initiatives législatives en cours visent à renforcer la transparence et la traçabilité des minerais. Ces mesures sont essentielles pour promouvoir des pratiques plus éthiques et durables (sobriété, Low-Tech, …).

L’examen de la guerre et de l’exploitation des ressources naturelles en RD Congo révèle une complexité multidimensionnelle, où les enjeux économiques, politiques et idéologiques s’entremêlent. Pour véritablement transformer l’exploitation des ressources en un vecteur de développement et de paix, une approche globale respectant les droits humains et protégeant l’environnement est cruciale. Seules des politiques bien conçues et universellement appliquées pourront atténuer le paradigme de la « malédiction des ressources » et ouvrir la voie à un avenir plus prometteur pour la région.

La Belgique, en tant que partenaire historique et consommatrice de nombreux produits contenant des minerais provenant de la RD Congo, joue un rôle indirect mais significatif dans cette problématique. Les entreprises belges doivent veiller à la transparence et à la responsabilité dans leurs chaînes d’approvisionnement pour garantir que leurs pratiques ne contribuent pas aux conflits et aux violations des droits humains. Ce rôle est particulièrement important dans le contexte des relations historiques et contemporaines entre la Belgique et la RD Congo.

L’Europe, et en particulier les pays ayant un passé colonial avec des nations productrices de minerais, comme la Belgique en République Démocratique du Congo, se trouvent dans une position délicate. La Belgique est critiquée pour son rôle historique lié à son passé colonial et sa responsabilité actuelle dans la stabilisation de la région. De plus, elle est jugée sur sa capacité à promouvoir des pratiques plus éthiques et écologiques dans le commerce des minerais provenant de cette zone. Cette dualité met en lumière les défis complexes auxquels la Belgique et d’autres anciennes puissances coloniales sont confrontées dans leurs relations contemporaines avec ces pays. L’appui aux OSC qui jouent déjà un rôle de taille en Afrique centrale reste aussi une des pistes de solutions.

Les citoyen·nes belges sont donc concerné·es à plusieurs égards. Ils·elles doivent reconnaître et comprendre l’impact de leur histoire coloniale. De plus, les consommateurs et consommatrices belges, de plus en plus sensibilisé·es aux pratiques éthiques et écologiques, influenceront les choix de consommation et de commerce. Enfin, les citoyen·nes seront impliqué·es dans des débats et des actions politiques concernant les politiques étrangères de la Belgique et leur impact sur les pays autrefois colonisés.

En outre, les villes de Bruxelles, Gand et Anvers, incitant de plus en plus à la transition vers les voitures électriques, doivent s’assurer des sources d’approvisionnement en matières premières des entreprises qui commercialisent ces véhicules. Cette transition rapide vers des technologies vertes, bien que louable sur le plan environnemental, ignore souvent les conditions d’extraction du cobalt en RD Congo, d’où proviennent 70 % des réserves mondiales. Les citoyen·nes belges, en tant que consommateur·rices, peuvent influencer ces pratiques par des choix éthiques et en soutenant des politiques de commerce équitable par la diligence raisonnable.

Ainsi, la Belgique et l’Europe ont un rôle déterminant à jouer dans la promotion de pratiques commerciales et industrielles respectueuses des droits humains et de l’environnement, à la fois pour répondre aux défis historiques et pour construire un avenir plus durable et équitable.

Patrick Balemba.

Références additionnelles

  1. Katz-Lavigne, S. (2017). Governance of the Illegal Trade in E-Waste and Tropical Timber: case studies on Transnational Environmental Crime. Ashgate.
  2. Le Billon, P. (2001). The Political Ecology of War: Natural Resources and Armed Conflicts. Political Geography.


[1] Auty, R. M. Sustaining Development in Mineral Economies: The Resource Curse Thesis. Routledge, (1993).

[2] Ross, M. L. What Do We Know about Natural Resources and Civil War? Journal of Peace Research, (2004).

[3] Nest, M. Coltan, Polity Press, 2011

[4] Østensen, Å. G., et al., What has the Dodd-Frank Act Achieved? Journal of International Affairs (2014).

[5] Steven Spittaels & Filip Hilgert, Cartographie des motivations derrière les conflits : le cas de l’Est de la RDC, IPIS, 2008

[6] Hilson, G,. The Kimberley Process : Fair Trade? Minerals and Sustainable Development, 2012.

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