Rencontre avec Patricia Willocq. Photographe humanitaire et directrice pour les pays francophones chez Stop Ecocide International

Le terme « écocide » trouve son origine dans la combinaison de « éco » signifiant maison, et de « cide », qui signifie tuer. Il désigne ainsi l’ensemble des actions entraînant une destruction massive de l’environnement et des écosystèmes. Cependant, à ce jour, aucune définition universellement acceptée n’a été établie.

Stop Ecocide International (SEI) est un mouvement mondial qui a pour objectif de dissuader, prévenir et sanctionner les atteintes les plus graves à la nature. Cette reconnaissance permettrait de créer un impératif moral fort pour la protection du monde vivant, de renforcer les réglementations et lois environnementales existantes, et de soutenir la mise en œuvre effective des engagements et accords multilatéraux en faveur de l’environnement.

La mission principale de l’organisation est d’obtenir l’inclusion de l’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Pour cela, SEI travaille en étroite collaboration avec des expert·es juridiques, des décideur·euses politiques et la société civile afin de sensibiliser et promouvoir des réformes législatives ambitieuses.

En seulement cinq ans, des avancées significatives ont été réalisées. Le mouvement est passé d’une absence totale de législation à l’élaboration d’un cadre juridique sur la reconnaissance du crime d’écocide dans la dernière directive de l’Union européenne sur la criminalité environnementale. Une proposition officielle d’amendement au Statut de Rome a été initiée par la République de Vanuatu, la République des Fidji et l’État indépendant des Samoa, et soutenue par la République démocratique du Congo. Par ailleurs, des propositions de loi sur l’écocide progressent dans plusieurs parlements nationaux à travers le monde.

L’impact des conflits armés sur les écosystèmes et la biodiversité

Les conflits armés ont des conséquences directes et irréversibles sur les écosystèmes. La déforestation, la contamination des sols et de l’eau, l’utilisation d’armes chimiques ou incendiaires, ainsi que les explosions et les mouvements de troupes, causent des dommages considérables à la faune, la flore et aux populations humaines. En parallèle, la gouvernance environnementale est souvent affaiblie dans ces contextes, facilitant l’exploitation illégale des ressources naturelles.

L’histoire fournit un exemple marquant avec la guerre du Vietnam et l’utilisation massive de l’agent orange. Déversé par l’armée américaine entre 1961 et 1971, cet herbicide extrêmement toxique visait à défolier les forêts tropicales pour priver les combattants vietnamiens de couvert végétal. En dix ans, plus de 80 millions de litres ont été répandus sur près de 2 millions d’hectares de forêts et de terres agricoles, entraînant une déforestation massive et la contamination durable des sols et des cours d’eau. Les conséquences écologiques ont été dramatiques, avec la disparition de vastes étendues de forêts tropicales et d’espèces animales et végétales, ainsi que la perturbation des équilibres naturels. L’impact humain a été tout aussi catastrophique, l’agent orange contenant de la dioxine, une substance hautement toxique provoquant malformations congénitales, cancers et maladies chroniques. Des générations entières continuent d’en subir les effets aujourd’hui.

C’est dans ce contexte que le terme « écocide » a émergé, soulignant la nécessité de considérer la destruction massive de l’environnement comme un crime contre la paix. Face aux conflits qui se multiplient et aux écosystèmes qui s’effondrent, la reconnaissance de l’écocide au niveau international est devenue un impératif moral et juridique.

Le lien entre changements climatiques et tensions géopolitiques

Les changements climatiques exacerbent les tensions géopolitiques par divers mécanismes interconnectés. La raréfaction des ressources essentielles telles que l’eau, les terres cultivables et les zones de pêche, combinée à des phénomènes extrêmes comme les sécheresses, inondations et désertifications, pousse des populations entières à migrer. Ces déplacements forcés engendrent des tensions avec les communautés d’accueil et alimentent l’instabilité sociale.

Plusieurs régions du monde illustrent cette réalité. Au Sahel, la désertification intensifie les conflits entre agriculteur·ices et éleveur·euses. En Syrie, une sécheresse exceptionnelle a précédé le conflit civil. Dans le Pacifique, la montée des eaux menace l’existence même de certains États insulaires. En Asie, la fonte des glaciers himalayens modifie les régimes hydriques transfrontaliers, et en Amérique centrale, les sécheresses provoquent des migrations massives. Face à ces défis, le concept de « sécurité climatique » émerge dans les discussions diplomatiques internationales, appelant à des approches intégrées alliant protection des écosystèmes, adaptation climatique et consolidation de la paix.

L’exploitation incontrôlée des ressources naturelles est souvent au cœur des conflits. L’accès aux minerais, au pétrole, au gaz et à l’eau suscite des tensions, en particulier dans les régions où ces ressources sont rares ou mal réparties. Des groupes armés financent leurs activités par l’exploitation illégale de ces ressources, perpétuant les cycles de violence. La déforestation illégale et l’accaparement des terres sont également des sources majeures d’instabilité.

La République démocratique du Congo en est un exemple frappant. Riche en coltan, cobalt et or, cette région est en proie à des violences liées à l’exploitation illégale de ces ressources par des groupes armés, ce qui exacerbe les tensions locales et déstabilise la région. Le pillage des ressources naturelles, accompagné de dégradations environnementales causées par l’usage d’armes de guerre, la pollution des rivières et la destruction des sols, sert d’outil de guerre pour affaiblir les populations et renforcer le pouvoir des milices. Face à cette réalité, la RDC plaide pour une réponse internationale plus forte afin de protéger l’environnement et réguler ces activités destructrices.

La nécessité d’une action internationale

Pour assurer la justice, documenter les écocides commis en temps de guerre est essentiel. Cette démarche repose sur la collecte de preuves scientifiques, de témoignages des communautés locales et d’analyses d’images satellites. Les expert·es en droit international et en écologie collaborent pour établir des rapports détaillés, utilisés ensuite pour pousser à des poursuites judiciaires.

Un cas récent illustre cette nécessité : l’explosion du barrage de Kakhovka en juin 2023. Cette catastrophe environnementale a submergé des milliers d’hectares de terres agricoles, détruit des habitats naturels et contaminé l’eau potable, mettant en péril la biodiversité et la santé des populations. Documentée par des analyses scientifiques, des images satellites et des témoignages locaux, cette destruction met en lumière l’urgence de reconnaître juridiquement le crime d’écocide.

Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, les États doivent faire preuve de solidarité pour protéger les écosystèmes. Les conflits peuvent être temporaires, mais les dommages infligés à l’environnement sont souvent irréversibles. Renforcer les cadres juridiques, adopter des lois intégrant l’écocide dans les législations nationales et promouvoir un mécanisme international de réparation des dommages écologiques causés par la guerre sont des mesures essentielles.

En unissant leurs efforts, les États envoient un message fort : la nature ne doit plus être une victime silencieuse des conflits humains, mais être protégée comme le fondement même de toute civilisation fonctionnelle.

Marina Muvughe.

Facebook
Twitter
LinkedIn
Print
E-mail

In the news

Stay informed

Subscribe to our online newsletter and receive complete monthly information.

Get involved with us!

Our queer news in your inbox?

Complete this form to be kept up to date with our educational news (training, educational tools, etc.)

Please enable JavaScript in your browser to complete this form.
Firstname name