À proximité de Kiev, capitale de l’Ukraine, se trouve le site de Tchernobyl, tristement célèbre pour avoir abrité la pire catastrophe nucléaire de l’histoire. Avec l’offensive russe, la peur d’une nouvelle catastrophe environnementale s’est intensifiée. Chaque bombardement, chaque explosion à Tchernobyl pourrait provoquer un désastre aux conséquences dépassant largement les frontières ukrainiennes – une véritable menace pour toute l’Europe.

Crédit : Oleh Mostipan.
Depuis l’accident de 1986, où l’explosion du réacteur n°4 a libéré d’énormes quantités de radioactivité dans l’atmosphère, la région de Tchernobyl est devenue une zone d’environ 2 600 km² où les activités humaines sont sévèrement limitées[1]. Ces terres, autrefois parmi les plus fertiles et prospères, ne sont aujourd’hui qu’une étendue sauvage appelée “zone d’exclusion”, inhabitable pour des centaines, voire des centaines de milliers d’années aux abords de la centrale[2].
Il y a maintenant plus de trois ans, le monde retenait son souffle. Le 24 février 2022, la Russie lançait son invasion à grande échelle en Ukraine. Missiles frappant les villes, bombardements incessants sur Marioupol, Kharkiv et Kherson, offensives de drones et de chars,etc. Sur le plan tactique et stratégique, c’est la ville de Kiev que le Kremlin cherche à atteindre. C’est dans cette logique que Tchernobyl devient un objectif militaire. Situé à une quinzaine de kilomètres de la frontière biélorusse, point de départ des troupes russes pour tenter d’atteindre la capitale ukrainienne, Tchernobyl est envahi dès le premier jour de l’offensive. La centrale nucléaire et l’ensemble de la zone d’exclusion passent sous occupation russe, jusqu’au 31 mars 2022[3].
Durant plus d’un mois, l’inquiétude s’est intensifiée concernant l’état de la centrale, le destin de son personnel et les actions des soldats russes dans la zone. Sans électricité ni communications pendant toute l’occupation, la centrale ne pouvait plus refroidir le combustible nucléaire usé, ravivant la crainte d’un nouvel accident majeur. Tchernobyl est devenu une référence constante, à la fois comme traumatisme historique et comme menace actuelle. Les avertissements sur le risque d’un « second Tchernobyl » se sont multipliés[4]. Cette peur s’est étendue au-delà de ce site : l’attaque de la centrale de Zaporijia, après des affrontements ayant provoqué un incendie à proximité le 4 mars, a renforcé la crainte d’une nouvelle catastrophe nucléaire[5].
“Combien de Tchernobyl faut-il (…) pour faire comprendre que notre survie dépend de l’eau propre, de l’air pur et des sols sains?” – Gabriele Schwab. |
Près de trois ans après le début de l’invasion russe, la centrale de Tchernobyl redevient une source majeure d’inquiétude. Le 14 février 2025, un drone russe a endommagé l’arche protectrice du réacteur. Cette immense structure métallique de 275 mètres de large et 108 mètres de haut, construite pour 1,6 milliard de dollars, recouvre le premier sarcophage bâti par les Soviétiques[1]. Hryhoriy Ishchenko, chef de l’Agence d’État pour la gestion de la zone d’exclusion, souligne la gravité de l’incident : « Si le drone avait frappé 15 mètres plus loin, nous aurions été confronté·es à un accident nucléaire d’une ampleur sans précédent »[2].
Des impacts environnementaux
Un premier impact majeur de cette attaque est le risque d’une fuite radioactive, causé par les dommages subis par l’arche de confinement. La centrale de Tchernobyl reste une installation extrêmement sensible, abritant encore une grande quantité de matériaux hautement radioactifs. Bruno Chareyron, directeur du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), affirme qu’environ 20 000 assemblages de combustibles irradiés y sont toujours stockés, « dont la majorité est conservée sous eau afin de limiter leur niveau de rayonnement et de les refroidir en permanence ».[3] Par ailleurs, plus de 20 000 m³ de déchets solides et liquides y sont accumulés. Toute forme de dégâts de l’arche risque de provoquer des conséquences environnementales considérables. Si, cette fois-ci, les conséquences ont été limitées, rien ne garantit qu’il en sera de même à l’avenir. L’arche joue un rôle essentiel en contenant les émissions radioactives et en permettant, à terme, l’élimination du cœur fondu du réacteur. De plus, la surveillance constante par les travailleur·euses ukrainien·nes, les contrôles réguliers et le bon fonctionnement des installations sont cruciaux pour prévenir toute augmentation du niveau de radioactivité et réduire le risque d’une catastrophe future.
Un deuxième impact est la pollution radioactive aux alentours de la zone. Quand les troupes ont occupé la région de Tchernobyl en février 2022, les capteurs de la zone d’exclusion ont enregistré une augmentation soudaine du rayonnement gamma, atteignant des niveaux 20 à 30 fois supérieurs à la normale dans cette zone.[4] À ce jour, la cause exacte de cette hausse reste incertaine. Le système de contrôle automatisé de la centrale a cessé de fonctionner entre le 25 et le 28 février 2022.[5] L’IRSN, qui analyse les données des autorités ukrainiennes, suggère que des coupures d’électricité pourraient avoir entravé la transmission des informations. Les expert·es estiment que le passage des blindés et véhicules russes a soulevé des poussières radioactives, contribuant ainsi à l’élévation du rayonnement. Cependant, selon Bruno Chareyron, « aucun événement unique ne semble avoir pu provoquer un rejet radioactif majeur ».[6] Il insiste sur la nécessité d’une analyse précise capteur par capteur, sinon la protection de l’environnement dans la zone ne peut ni être prévue ni analysée. Jusqu’à présent, aucune augmentation de la radioactivité n’a été détectée dans les pays européens voisins. Néanmoins, le contexte de guerre reste dangereux: chaque déplacement, chaque incendie, chaque explosion dans la zone d’exclusion pourrait libérer des particules radioactives et avoir des conséquences irréversibles sur l’environnement.
Le troisième impact relève des conséquences de l’invasion sur la faune et la flore. Cet aspect est analysé avec un regard à long terme. La contamination radioactive continue d’affecter les écosystèmes. Les forêts, particulièrement touchées, se décontaminent très lentement, à un rythme inférieur à 1 % par an.[7] Cette situation entraîne une accumulation de bois mort, augmentant le risque d’incendies qui pourraient libérer des particules radioactives dans l’atmosphère. Les écosystèmes d’eau douce, eux aussi, subissent encore les conséquences des retombées radioactives. Des radionucléides issus des sols contaminés continuent de se transférer aux lacs et rivières, maintenant des niveaux de radiation élevés. À l’inverse, les zones urbaines contaminées ont vu une diminution progressive de la radioactivité, bien que les radionucléides aient migré plus en profondeur dans les sols. Certaines espèces animales ont visiblement pu se profiler, notamment des cerfs, loups et chevaux de Przewalski[8]. Si certain·es scientifiques estiment que la biodiversité a profité de l’absence humaine, d’autres contestent cette vision trop optimiste. Des études indiquent une baisse de la diversité et de la densité des espèces, notamment chez les oiseaux, proportionnelle à l’augmentation du niveau de radiation. L’activité militaire dans la région, notamment le passage de blindés et les explosions, remue les sols contaminés et perturbe davantage cet équilibre fragile.
Dès lors, la situation actuelle impose une vigilance permanente, alors que les affrontements récents à proximité des installations de Tchernobyl et Zaporijia soulignent les risques nucléaires inhérents aux zones de conflit[9]. L’AIEA confirme le maintien d’un état d’alerte maximal en continu. Une surveillance environnementale renforcée s’avère également indispensable pour la région de Tchernobyl dans ce contexte d’hostilités prolongées.
Des défoliants chimiques déployés au Vietnam aux sabotages d’infrastructures pétrolières en Irak, les écosystèmes sont systématiquement victimes de dommages collatéraux ou d’exploitation stratégique, servant à affaiblir l’adversaire, contrôler des ressources stratégiques ou déstabiliser des régions entières. Ces catastrophes environnementales induites par les conflits transcendent les frontières nationales pour générer des conséquences transfrontalières significatives : insécurité alimentaire, contamination des ressources hydriques et atmosphériques, et accélération des dérèglements climatiques globaux.
Face aux risques environnementaux majeurs liés aux zones nucléaires en contexte de conflits armés, comme l’illustre tragiquement Tchernobyl, il est urgent de se mobiliser. L’intégration impérative de mécanismes de protection environnementale dans les processus diplomatiques et les programmes de reconstruction post-conflit s’impose comme une nécessité. Les citoyen·nes peuvent concrètement contribuer à une meilleure protection des zones nucléaires en temps de conflit. Pour ce faire, ils et elles peuvent s’engager en signant et partageant des pétitions[10] qui plaident pour la création de zones de sécurité neutres autour des installations nucléaires, ce qui leur permet de faire entendre leur voix auprès des décideur·euses internationaux. En parallèle, leur soutien aux organisations[11] qui surveillent et documentent les impacts environnementaux est essentiel car il renforce la transparence et la responsabilité des acteur·ices impliqué·es. De plus, s’informer régulièrement constitue un levier d’action important puisque cela permet de relayer des informations précises et ainsi de contrer efficacement la désinformation qui circule sur ces sujets sensibles. Par ailleurs, participer aux journées d’action sur la mémoire de Tchernobyl permet d’en faire une force motrice pour un changement positif. C’est par l’ensemble de ces actions coordonnées que nous pourrons collectivement construire un avenir énergétique plus sûr et pacifique.
Mélanie Demarteau.
[1]Aikman, Ian. 2025. “Chernobyl radiation shield hit by Russian drone, Ukraine says.” BBC, February 14, 2025.
[2]Gerashchenko, Anatoliy. 2025. “Russian drone hits Chernobyl NPP. Experts release information on reactor shelter condition.
[3]Jehanno, Emilie. 2022. “Guerre en Ukraine : Que sait-on de la hausse de la radioactivité à Tchernobyl après la prise du site par la Russie ?” 20minutes.
[4] G., T. 2025. “Tchernobyl touchée par un drone russe : dans quel état se trouve la centrale après trois ans de guerre ? | TF1 INFO.
[5]Jehanno, Emilie. 2022. “Guerre en Ukraine : Que sait-on de la hausse de la radioactivité à Tchernobyl après la prise du site par la Russie ?” 20minutes.
[6] Ibid.
[7]European Parliament. 2016. “Chernobyl 30 years on Environmental and health effects.” European Union.
[8] Ibid.
[9] Le Monde avec AFP. 2022. Guerre en Ukraine : la plus grande centrale nucléaire d’Europe occupée par l’armée russe, après avoir été bombardée.”
[10] https://www.greenpeace.org/belgium/fr/campagnes/energie/energie-nucleaire/
[11] Greenpeace, Réseau sortir du nucléaire,etc.
[1] La Radioactivité. n.d. “icon Tchernobyl aujourd’hui.”
[2] Vitry, Gwendal. 2022. “Impact des Pollutions Radioactives sur l’Environnement.” Institut Universitaire de Technologie.
[3]G., T. 2025. “Tchernobyl touchée par un drone russe : dans quel état se trouve la centrale après trois ans de guerre ? | TF1 INFO.
[4]Ferebee, K. M. 2023. ““A New Chernobyl”: Narratives of Nuclear Contamination in Russia’s 2022–3 Ukraine War.” Apocalyptica, no. No1, 26.
[5]UN Genève. 2025. “Tchernobyl : l’arche de protection du réacteur nucléaire touchée par un drone explosif, selon l’AIEA.” 02 14, 2025.