« J’ai commencé la rédaction de ce texte dès les premiers jours de mon exil. C’était au début des années quatre-vingt. Deux raisons m’ont poussé à coucher sur le papier ce que je venais de vivre. Tout d’abord, je ressentais un besoin immense de raconter aux autres ce qui m’était arrivé. C’est ensuite le devoir de mémoire qui m’a motivé. Mon récit terminé, je me sentais mieux . »[1]Ong Thong Hoeung, « J’ai cru aux Khmers rouges », Buchet/Chastel, 2003, p. 13.
C’est par ces mots qu’Ong Thong Hoeung commence le récit de tout ce que le régime khmer rouge lui a pris : quatre années de sa vie, la moitié des membres de sa famille, le quart de ses compatriotes et, par dessus tout, son humanité. Ong Thong Hoeung était un des étudiants cambodgiens qui sont venus étudier en France en 1965. Il avait vingt ans. Ong et les autres étudiants cambodgiens sont très fiers d’appartenir à une nation qui se relève de près de cent ans de colonisation ainsi que de cinq ans de guerre et de destruction. Leur envie de rentrer au pays pour participer à l’effort de reconstruction est pressante. Ils croient au régime khmer rouge et au gouvernement populaire qui prônent une société nouvelle. Mais ils sont loin de se douter de ce qui se passe réellement au pays. Pour annihiler toute influence étrangère, la dictature khmère les pliera à un labeur physique pénible, à des séances de critique et d’autocritique quotidiennes, ainsi qu’à des interdictions comportementales très sévères. On scrutera chez eux tout ce qui pourrait permettre de les accuser d’attitude antirévolutionnaire. Et quand on est sous le coup d’une pareille accusation, on sait que sa vie ne tient plus qu’à un fil. [2]Pour un complément d’information sur les conditions de vie sous les Khmers rouges et sur le combat de Ong Thong Hoeung, lire l’analyse de Pax Christi Wallonie-Bruxelles : « Même au tréfonds … Continue reading Pour le peuple cambodgien, la période 1975-1979, c’est quatre années de privations, de faim, de maladie, d’isolement, d’endoctrinement, de délation, de travail forcé, de brimades, de peur et d’assassinats. L’individu est combattu, seul le peuple dans son acception collective compte. La liberté n’existe plus : celle de manger à sa faim, celle de posséder des biens personnels, celle de choisir ses compagnons, celle de penser, celle de s’exprimer librement, celle d’être soi tout simplement. Le résultat est une déshumanisation programmée au nom d’une idéologie révolutionnaire, comme en ont connu de nombreux peuples au sortir de la Grande Guerre.Attachments
Notes[+]
↑1 | Ong Thong Hoeung, « J’ai cru aux Khmers rouges », Buchet/Chastel, 2003, p. 13. |
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↑2 | Pour un complément d’information sur les conditions de vie sous les Khmers rouges et sur le combat de Ong Thong Hoeung, lire l’analyse de Pax Christi Wallonie-Bruxelles : « Même au tréfonds de l’horreur, il y a toujours la bonté », 2011 : http://paxchristiwb.be/publications/analyses/j-ai-cru-aux-khmers-rouges-temoignage-d-un-intellectuel-cambodgien,0000289.html |
↑3 | Propos recueillis lors d’échanges téléphoniques et électroniques avec Ong Thong Hoeung en novembre et décembre 2011. |
↑4 | Primo Levi, « Si c’est un homme », Editions Julliard pour la traduction française, 1987. |
↑5 | L’idéologue du régime Nuon Chea, l’ex-ministre des affaires étrangères Ieng Sary et le président du « Kampuchea démocratique » Khieu Samphan. Ils sont accusés de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. |
↑6 | Les khmers rouges ont massacré les intellectuels. L’Histoire du Cambodge n’a pas été transmise à des populations qui sont aujourd’hui encore essentiellement rurales, pauvres et peu éduquées. |
↑7 | Il en publie une longue liste dans son livre, liste qu’il se désole de n’avoir pas pu rendre complète au moment de la parution. |
↑8 | Commission Justice et Paix francophone de Belgique, « Regards croisés sur la lutte contre l’impunité : un échange d’expériences d’Amérique latine, de la RDC et d’Europe pour appuyer le processus de réconciliation en RDCongo ». |