Pour évoquer l’engagement catholique en Amérique latine, il est indispensable de s’attarder sur un clivage qui a profondément marqué l’Eglise catholique sur le continent : celui qui s’est créé autour de « la théologie de la libération ».
Ce courant, qui fut une révolution plurielle, de nature théologique et pastorale, a débuté dans les années 60’, suite au Concile Vatican II et à la conférence du [1]CELAM à Medellín en Colombie. [2]CELAM: Conseil Episcopal Latino-Américain. À partir des années 60’, l’engagement d’une partie significative de catholiques se profile de manière assez particulière, novatrice et d’une certaine manière, radicale. Les théologiens de la libération interprètent l’évangile à la lumière d’une recherche de justice sociale. Ils introduisent dans leur réflexion une analyse de type marxiste de la société latino-américaine, qui inspire l’action de laïcs et religieux sur le terrain. L’objectif principal de leur action est la prise de conscience et le rôle de protagoniste des pauvres dans leur propre émancipation. A cette fin, ils adoptent les méthodes de la pédagogique «populaire» de Joseph Cardijn et Paulo Freire. Durant une première période, ce travail pastoral en contact avec les populations rurales et des quartiers pauvres des grandes villes est appuyé par une partie importante des autorités ecclésiales. La théologie de la libération incite le catholique, religieux ou laïc, à l’engagement pour la libération du pauvre, de l’opprimé, de sa condition considérée deshumanisante et donc contraire à l’enseignement de l’évangile. Cette perspective s’appuie sur une lecture de la réalité sociale distinguant parmi les acteurs sociaux les oppresseurs et les opprimés, dans un contexte international qui voit émerger les théories de la dépendance. L’oppression et l’existence de la pauvreté sont pour les théologiens de la libération des situations de péché qui doivent être renversées à travers une transformation sociale structurelle. Cette transformation doit être construite par les opprimés eux-mêmes, et doit donc venir « du bas ». Pour appuyer le rôle des pauvres dans leurs « processus de libération », certaines parties de l’Église catholique latino-américaine se sont engagées dans un travail pédagogique et de soutien, d’appui aux revendications de changement social.« conception du Christ comme homme politique, révolutionnaire, comme le subversif de Nazareth [prônée par la théologie de la libération] ne correspond pas à la catéchèse de l’Église ».[9]Voir le site consulté le 16 décembre 2016, Journal La Croix L’« arme décisive de Rome » [10]Michel Löwy, La guerre des dieux, Editions du Félin, Paris 1998., c’est-à-dire la nomination d’évêques conservateurs à la place des évêques plus progressistes, principal instrument de répression de la théologie de la libération, frappe l’Église de Puno et Cuzco au début des années 2000. Les nouveaux évêques de l’Opus dei et de Sodalitium Vitae [11]Un autre mouvement catholique conservateur d’origine péruvienne.décident progressivement de la fermeture des nombreuses organisations qui avaient été les plus impliquées dans les luttes des années précédentes et dans le travail social de l’Église. Plusieurs religieux et travailleurs de ces organisations sont amenés à démissionner et à partir. Déçues par l’attitude des nouveaux évêques, les organisations sont contraintes de changer leurs statuts pour devenir indépendantes de l’Église. C’est grâce à cela qu’une continuité de la pratique libérationniste et de l’engagement des catholiques est encore visible dans le panorama politique et associatif de la région. Ces associations perpétuent, d’une certaine manière, le travail des premiers théologiens et l’« option pour les pauvres ».
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Notes[+]
↑1 | CELAM |
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↑2 | CELAM: Conseil Episcopal Latino-Américain. |
↑3 | IPA, Instituto de Pastoral Andina |
↑4 | Avec comuneros on entend au Pérou les habitants des communautés paysannes. |
↑5 | Sentier lumineux. |
↑6 | Organisations paysannes. |
↑7 | Vicariats de Solidarité. |
↑8 | La CVR a explicitement reconnu que le travail des organisations catholiques et des organisations de paysans a empêché que «Puno devienne une deuxième Ayacucho», c’est-à-dire la région où Sendero Luminoso a débuté ses actions, avec un fort ancrage dans les communautés paysannes et où la Guerre civile a fait le plus de victimes. |
↑9 | Voir le site consulté le 16 décembre 2016, Journal La Croix |
↑10 | Michel Löwy, La guerre des dieux, Editions du Félin, Paris 1998. |
↑11 | Un autre mouvement catholique conservateur d’origine péruvienne. |
↑12 | « La position de Jorge Mario Bergoglio est celle, traditionnelle, de l’Église : les pauvres sont considérés comme un objet d’attention, de compassion et de charité » (…) « mais pas comme des acteurs », selon Michael Löwy. D’ailleurs, sans être un hyper-conservateur, le Pape François s’est heurté aux prêtres jésuites tentés par le marxisme. À ce sujet, lire Henrik Lindell, « Le Pape François est-il un théologien de la libération? » |
↑13 | Pour en savoir plus sur la « mise en veille » des mouvements sociaux voir Verta Taylor, « Social Movement Continuity: Women’s Mouvement in Abeyance », American Sociological Review, vol. 54, 1989, pp. 761-775 |