Dans le nord du Pérou, un conflit fait rage entre des communautés paysannes désireuses de préserver leur écosystème et l’une des plus grandes compagnies minières au monde, l’américaine Newmont. Cette dernière veut lancer un projet massif d’extraction aurifère, avec un investissement estimé à près de 5 milliards de dollars.
Selon de nombreux scientifique, si le projet dit « Conga » voit le jour, ce seront des centaines de lagunes, rivières, sources et autre eaux souterraines qui disparaîtront ou seront polluées, mettant ainsi en péril l’existence de centaines d’habitants des provinces de Celendin, Hualgayoc et Bambamarca, dans la région de Cajamarca. Une contestation qui entraîne une féroce répression de la part de l’État dans la zone, mais aussi à l’échelle du pays tout entier, qui voit le nombre de conflits sociaux liés à l’extraction minière exploser. Depuis novembre 2011, nous assistons donc à un véritable bras-de-fer qui met aux prises une large partie de la population de Cajamarca (soutenue par les pouvoirs locaux) et le consortium minier, déjà présent depuis 20 ans dans la zone et qui jouit d’une piètre réputation en matière de responsabilité sociale et environnementale. [Lire [« Au Pérou, dialogue impossible entre paysans et compagnies minières ? », par Santiago Fischer.]] Le Gouvernement du Président Humala, désireux d’assurer de larges rentrées financières dans les caisses de l’État, soutient le projet extractif corps et âme, n’hésitant pas à réprimer la contestation sociale très durement. L’enjeu principal se cristallise autour de quatre lagunes naturelles qui devraient être asséchées pour le besoin des opérations. Or, selon Reinaldo Rodriguez, professeur de géologie à l’université de Cajamarca,« il s’agit de systèmes aquifères complexes et uniques qui ne peuvent pas être remplacés par des lacs artificiels, comme proposé par Newmont ».En effet, ces lagunes sont connectées intimement avec le reste du réseau hydrique, et à ce titre jouent un rôle central dans la distribution du précieux liquide aux communautés paysannes, qui en ont besoin pour leurs activités agricoles familiales. Ces dernières représentent la principale occupation dans la région, et cela malgré une forte présence de multinationales extractives qui n’emploient que peu de main d’œuvre non qualifiée.
« Ces initiatives se multiplient sans que la communauté internationale ne réagisse ! Nous sommes en train d’essayer d’abroger un décret-loi qui permet aux forces armées d’utiliser des armes létales pendant les manifestations, en conférant aux soldats une impunité totale en cas de bavure. Depuis quelques mois, ces mêmes forces ont l’autorisation de déplacer elles-mêmes les cadavres des victimes, ouvrant ainsi la voie à toute falsification de preuves », regrette-t-elle. Des résolutions administratives- invoquant l’exceptionnalité des faits et la gravité de ces actes « terroristes » – imposent également désormais aux manifestants inculpés de se présenter devant une juridiction beaucoup plus éloignée que Cajamarca. Ainsi, ils doivent voyager plus d’une journée pour se rendre à Chiclayo, sur la côte. Bien souvent incapables de payer le voyage, les paysans ne peuvent pas non plus se permettre de s’éloigner trop longtemps de leur activité agricole. Mirtha Vasquez s’inquiète également des conventions de collaboration signées entre la Police Nationale et des entreprises, qui permettent au secteur privé de louer des effectifs afin d’assurer leur sécurité, lorsque les policiers sont au repos. Or, ces services de sécurité privés se sont rendus coupables de nombreuses fois de violences envers les populations. Et la liste des mesures de ce type est encore longue… Toutes ces dérives ont été dénoncées officiellement le 11 mars 2013 par Mirtha Vasquez, accompagnée d’une délégation de la société civile péruvienne, auprès de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, réunie à Washington.. Le représentant du Gouvernement présent sur place a tenu à minimiser leurs affirmations, déclarant que le Pérou « est un pays démocratique qui respecte les droits de l’Homme et que les dérives constatées sur le terrain sont des faits isolés »…
« Nous pourrions éviter toute cette violence si on demandait leur avis aux populations ! Mais il n’y a pas de culture de la consultation au sein de l’administration. Rendez-vous compte, nous partons d’une histoire de 500 ans, imprégnée de colonialisme ! Les populations natives des Andes et de l’Amazonie sont considérées comme des moins que rien, il n’y a dès lors pas de volonté notable de leur demander leur avis ». Des avancées significatives en termes de régulation environnementale des projets extractifs à grande échelle devraient également être enregistrées[ Lire [« Pérou : une politique extractive nocive, avec le blanc-seing de l’Union européenne », par Santiago Fischer et Frédéric Triest.]] , et cela malgré la création d’un organe indépendant chargé d’octroyer les permis d’exploitation. Le Gouvernement est sensible à la pression internationale. Or, l’Union européenne, qui vient de ratifier un traité de libre-échange avec le Pérou pourrait tout à fait lui signifier qu’il est temps de mettre en place des outils modernes de gestion des activités extractives. Une bonne occasion également de rappeler au Gouvernement d’Humala ses engagements internationaux en matière de Droits de l’Homme, en lui demandant de déroger cet arsenal législatif qui criminalise la contestation sociale pacifique.